"Imaginez que vous vous donnez soudain le droit d'être furieusement heureux. Oui, imaginez une seconde que vous n'êtes plus l'otage de vos peurs, que vous acceptez les vertiges de vos contradictions. Imaginez que vos désirs gouvernent désormais votre existence, que vous avez réappris à jouer, à vous couler dans l'instant présent. Imaginez que vous savez tout a coup être léger sans être jamais frivole. Imaginez que vous êtes résolument libre, que vous avez rompu avec le rôle asphyxiant que vous croyez devoir vous imposer en société. Vous avez quitté toute crainte d'être jugé. Imaginez que votre besoin de faire vivre tous les personnages imprévisibles qui sommeillent en vous soit enfin à l'ordre du jour. Imaginez que votre capacité d'émerveillement soit intacte, qu'un appétit tout neuf, virulent, éveille en vous mille désirs engourdis et autant d'espérances inassouvies. Imaginez que vous allez devenir assez sage pour être enfin imprudent.

Imaginez que la traversée de vos gouffres en vous inspire plus que de la joie. C'était tout cela être le Zubial."

Alexandre Jardin, Le Zubial

8.2.24

Le romantisme n'est pas mort

L'année prochaine mon blog aura 20 ans*, ce qui signifie que les plus courageux d'entre vous lisent mes nevrosiades depuis plus d'une majorité. 

Vous n'êtes donc pas sans savoir que par chez nous la mort et les obsèques ne sont pas un tabou, même si j'ai été surprise de mon manque de sérénité bouddhiste cet automne, quand j'ai cru ma dernière heure arrivée.

À ce moment précis j'ai compris que les principes sont une chose et que la réalité en est une autre. Mes proches savent désormais que le moment venu il faudra à minima m'assommer, voire me droguer lourdement à mon insu. C'est un fait, plutôt que d'accepter de quitter le monde dans un sourire lumineux, je m'accrochais à la vie, comme les morpions aux poils pubiens de Sophie D, 5ème B, après qu'elle soit allée acheter un Levi's d'occasion aux puces de Saint Ouen, les biens nommées.

Après cette alerte, nous avons encore passé un cap et décidé de louer une concession funéraire. Bien entendu, la reine mère y vit une nouvelle invitation à squatter chez nous et demanda si sa dépouille y serait la bienvenue. Aux termes de longues tractations, nous convînmes qu'elle serait sans doute plus facile à côtoyer dans la mort que dans la vie, aussi nous acceptâmes**. 

Alors que ce projet était initialement pour moi le comble du romantisme : reposer ensemble près l'un de l'autre pour l'éternité mon amoureux et moi, comme nous étions tous réunis lorsque nous en avons parlé, ça a rapidement tourné en réunion d'acquisition d'un meublé touristique en timeshare.

Sans compter que d'autres questions se sont ensuite bousculées dans ma tête : et si nous nous séparons après avoir signé le contrat, faudra t'il faire préciser dans le jugement de divorce que je souhaite qu'il aille reposer ailleurs ? Existe t'il des procédures d'expropriation funéraire ? 

J'ai aussi repensé à cette très gentille mère d'un camarade de classe de mon enfant, qui avait donné un de ses reins à son mari, qui sinon serait mort. Mari qui, en guise de remerciement, s'était mis à maltraiter sa femme. J'avais souvent émis le vœux à l'époque, qu'elle puisse récupérer son rein et le laisser crever. 

Bref ! Il s'est avéré que le sujet remuait les méninges plus que je ne l'aurais soupçonné. 

C'est d'ailleurs à cette époque que j'ai relu avec délectation, "changer l'eau des fleurs", même si à la seconde lecture, tout semble un peu trop cousu de fil blanc. 

Mais revenons à nos brebis (à bas le patriarcat ovin !), donc, si mon amoureux, qui adore sa belle-mère, n'a pas pris ombrage de sa présence dans notre dernière demeure, il s'est par contre montré inflexible sur le choix des autres co-locataires***.

Il m'a clairement accusée de vouloir transformer notre concession en auberge espagnole, a exigé de donner son accord pour chaque futur occupant et s'est même opposé à ma créativité artistique pour le dessin de la stèle.

Je lui ai rappelé que jusqu'à récemment, son seul souhait concernant les dispositions à prendre pour son corps débarrassé de ses 21 grammes d'âme, était de l'accrocher nu sur un arbre afin qu'il soit mangé par les oiseaux.

Il m'a rappelé que c'était la seule option un tant soit peu écologique qu'il lui restait, étant donné que je m'opposais à la crémation et que les cercueils en carton n'étaient pas acceptés par les pompes funèbres.

Aussi, avant que la situation ne s'envenime, nous avons décidé d'attendre le rendez vous en mairie, pour prendre connaissance du règlement du cimetière, avant d'échafauder quelque plan irréalisable. 

Il n'empêche, je l'ai trouvé drôlement sexy, cet homme au demeurant raisonnable et grand taiseux devant l'éternel, quand il s'emportait et s'exprimait avec véhémence sur le bien mourir ensemble et la cohabitation funéraire bienveillante.

Serait-il devenu aussi fou que moi ?


*En mars 2025 : grosse blogorencontre-fiesta à la capitale !

**Etant bien entendu que si ma mère y a sa place, mon père aussi, nous allons prendre la concession King size.

***Je lui ai dit que ce serait une bonne idée que nos ex soient enterrés avec nous afin de faciliter les trajets à nos enfants, il n'était pas d'accord.

8 commentaires:

dany a dit…

Alors là!!!! j'en crois pas mon oeil (pour l'instant j'en ai qu'un !). Pourquoi as-tu autant besoin de refuges? Maisons ? Tombe ? est-ce que tu sais que quand il n'y a pas assez de place pour les ayants droits, les corps les plus anciens partent en vrac à l'ossuaire... perso pas d'enfermement sous terre, je veux m'élever en nuages vers le ciel.

Rajout : ah ! j'ai compris, tu ne veux pas lâcher le chouette amoureux même après la vie terrestre

Névrosia a dit…

Tu as bien lu de ton seul oeil et bien compris aussi. Je t'appelle demain pour prendre des nouvelles de l'autre oeil. Bises

Anne a dit…

Franchement, moi je ne veux pas pourrir en terre (dans un caisson en ciment).
C'est pas écolo mais je souhaite être incinérée et que mes cendres soient répandues dans mon jardin (et pas dans leur "jardin du souvenir" mochissime).
Je veux nourrir des fleurs que sentira mon amour s'il part après moi, des arbres sous lesquels ma descendance, mes proches, pourrons se mettre à l'ombre.
Une autre façon d'être romantique, je crois.

Nevrosia a dit…

Anne, ça peut s'entendre mais c'est désormais interdit. On ne peut plus disposer librement des cendres du défunt.

dany a dit…

depuis quand ? les cendres de Céline sont dans notre jardin au pied de son arbre préféré ou bien elles se sont envolées... et on a demandé l'autorisation de personne

Anonyme a dit…

Dany, depuis 2008 : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1558#:~:text=Effectivement%2C%20id%C3%A9e%20re%C3%A7ue%20car%20depuis,enfin%20d%C3%A9pos%C3%A9e%20dans%20un%20columbarium.
Bisous

Anne a dit…

Depuis 2008 bien des familles font comme si elles ne savaient pas.

Nevrosia a dit…

Effectivement. Ce qui m'intéresse le plus, c'est l'impact psychologique de ce choix (moins anodin qu'on ne le pense) pour ceux qui restent. Il est important de respecter le choix de chacun, comme pour le don d'organes, ainsi que les habitudes familiales. Mon amoureux a une famille qui est restée recentrée géographiquement autour du berceau familial et bien que non-croyants, ils prennent grand soin tous du caveau familial, y vont très régulièrement, du moins pour sa génération. Il ne me semble pas que les enfants s'y rendent et je gage qu'ils ne feront pas perdurer cette habitude. Ma mère a toujours voulu être enterrée sur la terre de ses ancêtres, de l'autre côté de l'océan et nous a dit, ces dernières années, préférer être enterrée en France pour que nous puissions (ses enfants et petits-enfants) prendre soin de sa tombe, comme elle l'a fait avec celle de ses parents. Je ne le vis pas comme une future contrainte., au contraire, je serai heureuse de pouvoir aller me recueillir sur la tombe de mes parents toute proche. Je l'écris et je réalise que si j'en ai parlé avec mes parents, mon amoureux et mes enfants, je n'en ai pas parlé avec ma sœurie, il va falloir.