"Imaginez que vous vous donnez soudain le droit d'être furieusement heureux. Oui, imaginez une seconde que vous n'êtes plus l'otage de vos peurs, que vous acceptez les vertiges de vos contradictions. Imaginez que vos désirs gouvernent désormais votre existence, que vous avez réappris à jouer, à vous couler dans l'instant présent. Imaginez que vous savez tout a coup être léger sans être jamais frivole. Imaginez que vous êtes résolument libre, que vous avez rompu avec le rôle asphyxiant que vous croyez devoir vous imposer en société. Vous avez quitté toute crainte d'être jugé. Imaginez que votre besoin de faire vivre tous les personnages imprévisibles qui sommeillent en vous soit enfin à l'ordre du jour. Imaginez que votre capacité d'émerveillement soit intacte, qu'un appétit tout neuf, virulent, éveille en vous mille désirs engourdis et autant d'espérances inassouvies. Imaginez que vous allez devenir assez sage pour être enfin imprudent.

Imaginez que la traversée de vos gouffres en vous inspire plus que de la joie. C'était tout cela être le Zubial."

Alexandre Jardin, Le Zubial

18.1.24

Fuck le camembert !

Tout avait commencé avec de bonnes intentions.

La période étant financièrement sensible et puisque j'avais une réunion importante en fin d'après-midi dans le pays du camembert, qu'à cela ne tienne, pour la première fois de ma vie je prendrais un car pour ce long déplacement.

Je me suis donc couchée tôt, réveillée à 1h30, partie à 2h30 et j'étais sur le parking près de la seconde grande gare de Lyon à 3h30. J'envoyai quelques mails urgents et me dirigeai vers la gare routière. Le temps de comprendre qu'il y a en réalité deux gares routières, j'attrapai in extremis mon bus en direction de Paris.

Je choisis un premier siège, au sujet duquel un passager sorti pour fumer m'informa vertement qu'il était le sien et m'invita subtilement à en choisir un autre. Décontenancée par tant d'agressivité, je restai accorte et saluai les passagers éveillés, avant de m'installer sur un siège libre. Personne ne se donna la peine de me répondre et je n'eus droit qu'à des regards surpris, voire réprobateurs. Compréhensive, la jeune femme sur le siège devant le mien m'informa qu'ils étaient tous épuisés car ils avaient fait le trajet depuis l'Espagne, étaient partis la veille et avaient dû changer régulièrement de sièges car certains grouillaient de punaises. Elle me montra même une vidéo qu'elle comptait envoyer à la compagnie en demandant le remboursement de son billet.

Je décidai de rester stoïque, moi que mes sœurs appellent la princesse petit pois depuis toujours et prenaient un malin plaisir à torturer psychologiquement pendant des heures en me faisant croire qu'elles avaient trouvé des poux dans mes cheveux quand elles me coiffaient, car elles me savaient phobique de la vermine. Je pris sur moi aussi parce que Petitout s'était copieusement moqué de moi en apprenant que je prendrais un car. Le jeune homme ayant décidé que je serais trop snob et bien trop précieuse pour me mélanger à la plèbe, j'étais bien décidée à lui prouver le contraire.

Quand mes proches voisins, non porteurs de masques, se mirent à tousser à s'en décrocher les poumons, je restai stoïque. Quand mes voisins de derrière, manifestement imbibés d'alcool se mirent à gueuler car plus nous approchions de la région parisienne et plus la température baissait, en partageant généreusement avec moi les relents de leurs beuveries, je restai stoïque. Quand mes deux voisins de droite, jeunes touristes asiatiques couverts d'objets de voyage trop kawaii et de bigoudis, se précipitèrent vers moi pour prendre des photos de la belle campagne française sous le givre, par ma fenêtre, je restai stoïque. Quand nous nous arrêtâmes à une station service pour nous repoudrer le nez et que j'en profitai pour acheter un livre intéressant et qu'une passagère me jeta un regard dubitatif, voire moqueur, je restai stoïque.

Je restai très très stoïque jusqu'à Paris et je fis bien. Un magnifique soleil m'y attendait et c'est le cœur plein d'allégresse que je pus aller voir le film "La tresse", encore mieux que le livre. Ensuite je pris un délicieux encas en terrasse et reçus un appel professionnel qui m'annonça une très bonne nouvelle. C'est donc joyeusement que je me dirigeai vers la gare routière pour prendre mon second car. Finalement cette journée serait merveilleuse, il y avait moins de monde dans ce second car, assurément plus propre et qui partit à l'heure.

Avant d'entrer dans le car j'avais aperçu un jeune homme coiffé d'une somptueuse coupe mulet qui me tira un grand sourire. Je souris plus encore en me souvenant que mon amoureux avait porté la même à l'adolescence et j'essayais d'imaginer la tête qu'il aurait aujourd'hui avec cette même coupe. Le jeune porteur de la coupe mulet m'avait vu sourire en le regardant et semblant croire que j'étais conquise, il s'assit à côté de moi et commença à me parler. 

Il me fallut du temps pour comprendre que le monsieur assis quatre rangées derrière et qui hurlait dans un long monologue incohérent n'était pas un plaisantin mais plus probablement schizophrène et alcoolisé. Le chauffeur du car fit le choix de mettre la radio à fond pour couvrir ses cris et c'est avec intérêt, mais crainte pour l'intégrité de mes tympans, que je découvris la programmation de ladite radio avec les décibels d'une boite de nuit. Bien heureusement, j'ai toujours des boules Quies dans mon sac à main, je m'en félicitai, tout en constatant que les autres passagers semblaient totalement impassibles. J'en déduisis que j'étais sans doute la seule à y voir un problème, mais je commençai sérieusement à soupçonner une caméra cachée.

Nous fîmes un second arrêt à la Défense et une nouvelle voisine, parfumée à la Marie-Jeanne, eut la gentillesse de m'offrir un nouvel environnement olfactif. Je réfléchissais à quelle personne j'avais pu offenser pour que mon karma s'acharne ainsi, lorsque je reçus un nouvel appel. Contre ordre, la bonne nouvelle professionnelle n'était plus valable, elle était attribuée à quelqu'un d'autre. 

Je restai digne, mais commençai à songer à l'exorcisme, lorsque le chauffeur s'arrêta sur le parking de l'autoroute et nous annonça une panne moteur d'une durée indéterminée. Je me mis à rire nerveusement, croyant à une plaisanterie, mais ce n'était pas une plaisanterie. Nous restâmes à l'arrêt pendant une bonne heure, avec notre bruyant roi du monologue qui décida de prendre la place du chauffeur, qui était sorti pour essayer de réparer le moteur ou du moins trouver une solution. Le chauffeur remonta, nous dit que l'état du moteur ne lui permettrait pas de nous conduire jusqu'à destination, mais qu'un autre car viendrait nous chercher. Il redémarra et nous emmena à la sortie suivante, dans un centre régional de formation des conducteurs de cars. Nous attendîmes pendant une heure et demi dans une salle de réunion et, comme dans Koh Lantah, des alliances commençaient à se former, des amitiés à naître. Le jeune homme à la coupe mulet révisait ses équations différentielles au tableau, tandis que des matrones canalisaient le roi du monologue et le sommaient d'arrêter de boire ses flasques de whisky.

Je restai stoïque.

Un nouveau car vint nous chercher, mais le chauffeur était furieux d'avoir été dérangé alors qu'il ne travaillait pas, car il allait rater un match de foot. Il parfait très fort au chauffeur du second car qui était monté avec nous. Nous eûmes tous l'occasion d'en apprendre beaucoup sur ses déboires sentimentaux actuels, son premier divorce, sa double nationalité, ses projets d'achat d'appartement, ses projets d'achat d'un car d'occasion pour l'envoyer au pays, ses projets d'achat de voiture neuve pour devenir conducteur de VTC et, comme il était urgent de faire une étude de marché, il utilisa son téléphone portable pour regarder les annonces de cars d'occasion et de voitures quasi neuves de sa main gauche, tout en conduisant à plus de 110 km/h sur l'autoroute de la main droite, alors même que son collègue lui expliquait qu'avec un car sur cette route il ne devait normalement pas rouler à plus de 90 km/h, ce qu'il ne semblait pas croire.

Pas plus que je n'en crus mes oreilles quand on nous appris que la préfecture venait du publier une alerte vigilance orange verglas et que la circulation des bus et voiture serait interdite dans toute la région pendant les 24 prochaines heures. J'avais évidemment raté ma réunion et me demandais quand ce cauchemar prendrait fin.

Arrivés à destination avec trois heures de retard, je me dirigeai vers le airbnb que j'avais réservé. J'avais fait 18 heures de route pour rien, j'étais épuisée et je reçus un sms du propriétaire de l'appartement qui me donnait la procédure pour entrer chez lui en son absence. Je vous jure que j'ai pensé que c'était encore une blague, mais celle de trop. Le parcours pour aller récupérer la clef dans un boitier à code caché derrière un mur, accéder à l'appartement par un passage caché et passer de nombreuses portes afin de pouvoir enfin ouvrir la porte d'entrée, était digne de Fort Boyard. Je voyais le liquide bleu s'écouler, je n'en pouvais plus.

Avant d'arriver à l'appartement j'avais juste eu le temps d'acheter deux trois choses à grignoter, ce que je fis avant de sombrer dans un sommeil profond. Le lendemain matin je décidai d'aller rencontrer un contact local, histoire de ne pas avoir fait la route pour rien et j'arrivai au rendez-vous trempée de la tête aux pieds. Il pleuvait fort et faisait en plus terriblement froid, avec le verglas sur les trottoirs je ne pouvais pas marcher vite.

J'avais bien heureusement pris un billet de train pour un trajet retour direct en fin d'après-midi, aussi je fus prise d'une irrépressible envie d'aller déjeuner dans un restaurant asiatique près de la gare pour me réchauffer avec une bonne soupe Pho. Comme il restait vingt bonnes minutes avant l'ouverture du restaurant, je décidai d'aller voir en gare si je pourrais échanger mon billet pour partir plus tôt. J'avais été bien inspirée car l'agent de la SNCF m'appris que mon train avait été supprimé et, comme j'étais stupéfaite de ne pas en avoir été informée, elle eut la gentillesse de me changer mon billet sans supplément. Seulement, j'avais une correspondance obligatoire à Paris. Qu'à ce la ne tienne, je n'étais plus à cela près.

Le temps de me repoudrer le nez et m'acheter un sandwich, je montai dans le TER en direction de Paris. TER sans chauffage dans lequel je me mis à claquer des dents tant j'avais froid et qui eut la bonne idée de s'arrêter vingt longues minutes en chemin. Enfin arrivée en gare de Paris saint Lazare, je me précipitai vers le métro, qui bien heureusement était direct jusqu'à la gare de Lyon. Mais, par principe ou solidarité avec les autres moyens de transport empruntés jusque-là (je ne saurais dire exactement), il s'arrêta lui aussi pendant vingt minutes.

Enfin arrivée à la gare de Lyon, je vis sur les panneaux d'affichage que deux TGV partaient en direction de Lyon à la même heure et depuis deux halls différents. Evidemment, j'attendais dans le mauvais hall et montai juste à temps dans mon TGV. Une fois confortablement installée à ma place dans la voiture, ils annoncèrent vingt minutes de retard au départ... Qu'à cela ne tienne, j'étais devenue l'incarnation de la zénitude, jusqu'à ce que monte dans ma voiture le plus immonde de mes collègues dans toute l'histoire de mon parcours professionnel. Je l'ignorai avec soin. 

Arrivée à Lyon, je me perdis dans la gare, en cherchant désespérément la sortie me permettant d'accéder à la bonne passerelle, pour arriver sur le bon côté du quai, au bout duquel se trouvait ma voiture. Mon amoureux me téléphona à ce moment-là et, toute guillerette à l'idée de son magnifique sourire quand il me retrouverait plus tôt que prévu, je l'informai que mon tgv direct avait été annulé et lui fis croire que j'étais encore à Paris et que j'allais tâcher de trouver un tgv rapidement pour le retrouver au plus vite.

Il me semble avoir versé une larme quand je me suis installée dans ma voiture.

C'est donc toujours guillerette que je me dirigeai vers l'A7, quand les panneaux annoncèrent un gros bouchon. Je sortis à temps pour prendre la nationale et suivis les autres voitures qui allaient dans la même direction que moi. Epuisée, je n'eus pas la présence d'esprit de mettre le GPS et me contentai de suivre la file de voitures. Quand elles tournèrent toutes à droite, je fis de même et me retrouvai sur l'autoroute en direction de Saint-Etienne... qui n'était évidemment pas ma direction.

Je pris la première sortie, fit un énorme détour et arrivai enfin à ma destination finale pour retrouver mon amoureux. Quand je toquai à la porte je ne lus pas un immense bonheur sur son visage mais une très grand colère. Il s'était terriblement inquiété et m'imaginait errant dans Paris, dans le froid et le désespoir.

Bref ! Je n'aime plus le camembert.

3 commentaires:

Anne a dit…

Mazette!!
j'ai rit mais je...
Si, si, j'ai ri!!!
J'espère que tu es remise des tes émotions! Et que tu n'as pas passé ta frustration accumulée sur ton amoureux.

Sopdekh a dit…

Oh la vache ! J'ai ri aussi, je suis désolée. C'est vrai que j'aurais moi aussi cherché la caméra cachée.. Comme quoi il vaut mieux parfois rester chez soi...

Bellzouzou a dit…

Huhu, j'ai suivi l'affaire en direct hier, et je me réjouis d'avoir pu la revivre ici. Tu as dû marcher sur une couille de ton karma avant d'aller choper ton premier bus à l'aller, je vois que ça. Mais à toute chose malheur est bon: tu es revenue bloguer, héhé!