"Imaginez que vous vous donnez soudain le droit d'être furieusement heureux. Oui, imaginez une seconde que vous n'êtes plus l'otage de vos peurs, que vous acceptez les vertiges de vos contradictions. Imaginez que vos désirs gouvernent désormais votre existence, que vous avez réappris à jouer, à vous couler dans l'instant présent. Imaginez que vous savez tout a coup être léger sans être jamais frivole. Imaginez que vous êtes résolument libre, que vous avez rompu avec le rôle asphyxiant que vous croyez devoir vous imposer en société. Vous avez quitté toute crainte d'être jugé. Imaginez que votre besoin de faire vivre tous les personnages imprévisibles qui sommeillent en vous soit enfin à l'ordre du jour. Imaginez que votre capacité d'émerveillement soit intacte, qu'un appétit tout neuf, virulent, éveille en vous mille désirs engourdis et autant d'espérances inassouvies. Imaginez que vous allez devenir assez sage pour être enfin imprudent.

Imaginez que la traversée de vos gouffres en vous inspire plus que de la joie. C'était tout cela être le Zubial."

Alexandre Jardin, Le Zubial

25.3.17

Les mots de retard

A l'époque du collège je ne comprenais pas ce rituel qui consistait à remplir une fiche de renseignements, indiquant le métier des parents.
Déjà à l'époque ça me grattait aux entournures, tant cette pratique me semblait destinée à s'accorder les inclinations favorables ou défavorables de l'enseignant.

Mon incapacité à remplir des cases pour mieux m'y enfermer n'ayant fait que grandir avec moi, quand mes enfants sont entrés à l'école j'ai eu toutes les difficultés du monde à remplir les formulaires administratifs avec la docilité le sérieux requis.

Pour Toutgrand, toute soucieuse que j'étais de passer pour une mère « la plus normale possible », la première année de maternelle je me suis pliée à ces rituels, mais très rapidement j'ai cherché à comprendre. Alors j'ai demandé en quoi le fait de savoir si nous étions de nationalité française et les métiers que nous exercions changerait en quoi que ce soit les conditions de scolarité de nos enfants, dès lors que leurs inscriptions avaient été acceptées.
Systématiquement on m'a répondu que ces renseignements servaient à établir des statistiques, plus tard on a même rajouté que ça permettrait de faire le lien entre les catégories socio-professionnelles des parents et la réussite scolaire des enfants...

Je pense avoir fait l'admiration de la personne en charge de la saisie des informations statistiques dans notre académie, qui m'a connue tour à tour dresseuse de tigres, spationaute, horlogère, tisseuse de soie, chanteuse lyrique, fleuriste spécialisée en fleurs des champs, conductrice de poids lourds, vitrailliste, ébéniste, tourneuse-fraiseuse, etc.
Rassurée, elle n'a sans doute pas eu de doutes quant à la fabuleuse stimulation intellectuelle dont bénéficieraient nos enfants au cours de leur scolarité, en étant éduqués par une mère aussi polyvalente.

Lors des réunions de rentrée parents/profs sur la fiche de présence à remplir dans la colonne  lien avec l'élève  j'ai souvent écrit marâtre, syndrôme de stockholm, indéfectible, affectif, maintenu, génétique, spirituel, familial, etc.

Les affaires se sont corsées à partir du collège. Comment faire pour remplir les mots de retard ? Autant les absences peuvent être l'objet de maladies rares et merveilleusement exotiques, mais un retard, à part « problèmes de réveil », « circulation » ou « retard de bus », que mettre ?

Autre problème de taille, dans sa quête d'acceptation sociale l'adolescent n'apprécie pas du tout, mais alors PAS DU TOUT, la moindre tentative de fantaisie maternelle, jusque dans les mots de retard.

Le plus adolescent de mes 3 têtes multicolores, à savoir Petitout, ne m'épargne rien de ma condition de mère d'adolescent. S'il est en retard il me fera la grâce d'accepter que je l'accompagne au collège, mais en le déposant dans une rue parallèle d'où je ne risquerai pas d'être visible des autres collégiens. Si je refuse de l'accompagner il se plaindra d'avoir une mère sans cœur et indifférente qui aura porté plus d'attention bienveillante à ses deux aînés. Si je m'habille avec élégance il me soupçonnera d'être complexée socialement, si je m'habille de façon plus décontractée il me reprochera de me laisser aller. Bref, vous l'aurez compris : quoi que je fasse ça n'ira pas !

Forte de ce constat, il m'arrive de laisser libre cours à ma vraie nature sans me soucier des remontrances adolescentes. Ainsi, pour son premier retard de l'année à l'emplacement « motif» j'ai indiqué : « désynchronisation familiale ». Pour le second j'avais opté pour « indolence provoquée par un déséquilibre hormonal lié à la puberté »
Ces motifs n'ont vraisemblablement pas été considérés comme valables par l'éducation nationale, pourtant ça me semblait plus juste que « problèmes de circulation » ou « panne de réveil ».

Honteux, par la suite Petitout a surveillé de près tout écrit de ma part et je n'ai guère pu faire preuve de lyrisme administratif.
Mais chers amis à cet instant je me réjouis, Petitout a eu deux retards cette semaine et j'ai tout un week-end pour réfléchir à de nouveaux motifs, si vous êtes inspirés merci de partager.

5 commentaires:

Bellzouzou a dit…

"passait l'aspirateur dans la maison et n'a pas vu le temps passer"

(je ne suis jamais inspirée pour ces trucs-là, je viendrai piocher des idées).

Anonyme a dit…

Tu nous fais mourir de rire!!!
Et la Biennale du Design???? C'est la dernière semaine! On est absent le week-end prochain pour cause d'anniversaire maternel et ce n'est pas une excuse bidon..
Bisous

Lapunaise a dit…

Ah moi c'était (pour la benjamine en 4e) "n'a pas pu descendre de son lit mezzanine à cause des chats") véridique, elle était morte de honte ! Et puis je parsème mes différentes signatures de fleurs, d'oiseaux, de bonhomme batons, de smiley. Elle n'en peut plus. Du coup c'est son père qui s'y colle, s'il est plus classique dans ses formulations, je te prie de croire qu'il est beaucoup moins enclin que moi à pardonner un retard ou un oubli !

Anonyme a dit…

Quelle inventivité ! j'espère que l'éducation nationale apprécie !

Névrosia a dit…

Copie du commentaire de Zozostéo supprimé par Blogger :
"ça me rappelle la fois où, au lycée, j'avais séché pour aller à une manif. Avec accord paternel. Le lendemain matin, la CPE avait planté son bureau dans le couloir pour filtrer tout le monde. Elle regarde mon mot d'absence, avec comme motif: "manifestation". ça ne lui a pas plu! :-D"

Bellzouzou :
J'adore ! Oui, je vais mettre ça, c'est déclinable à volonté, parfait merci.

Dany :
;-) j'ai pensé à toi. J'ai réalisé que la biennale était sur la fin quand une collègue m'a annoncé s'y rendre le week-end dernier, mais je crains de n'avoir pas le temps d'y aller, les week-ends sont tous pris jusqu'à mi-septembre. En gare j'ai acheté le hors série du magazine Psychologies qui est vraiment super, intitulé : "Profiter de l'instant présent". Y a urgence ! :)

Lapunaise :
:-) excellent ! Je t'envie car je n'oserais jamais prendre le risque de dessiner des fleurs, des oiseaux, des bonhommes bâtons ou des smileys dans son carnet de correspondance, le jeune homme est rancunier et c'est lui qui choisira ma maison de retraite...

Anonyme :
Vraisemblablement pas le CPE car il a noté les 2 premiers retards comme "non justifiés", mais je ne désespère pas d'éveiller sa fibre artistique.

Zozostéo :
:-) ils sont bizarres ces CPE. Moi je serais fière d'avoir des élèves assez engagés et matures pour participer à des manifestations plutôt que sécher pour fumer des bedots.